Voilà un des premiers livres de Pierre Siniac (1928-2002) – le deuxième (il le signait encore de P. Signac !) - qui contient déjà en lui toutes les promesses qui s’épanouiront dans ses œuvres majeures futures telles : Les Morfalous, Monsieur Cauchemar et Aime Le Maudit. C’est la femme d’un auteur à succès de contes qui va vivre – et faire partager - ce cauchemar au point de se voir arrêtée par la police accusée de meurtre ! Son récit raconte comment elle en est arrivée là. Son mari voit sa source d’inspiration se tarir à la mort de la sœur de celui-ci qui vivait avec eux. Une sœur très proche de l’écrivain, si proche même qu’on se demande, quand il n’est plus capable d’écrire une phrase après sa mort, s’il ne faisait pas que recopier ce qu’elle lui dictait. Il s’ensuit un désespoir complet de l’homme harcelé par son éditeur et incapable de le satisfaire. Tout se trouble quand sa femme le surprend à implorer la morte de venir lui souffler à l’oreille des histoires ; une sorte de communication avec les morts !. Mais la période « spirite » de ce conteur asséché va basculer vers une autre, plus pragmatique, où il apparaît que c’est plutôt un nègre qui le fournit, un nègre qui a un jour rencontré sa sœur dans un train et fait passer ses textes par son intermédiaire... Or le « nègre » accepté par le conteur stérile devient de plus en plus gourmand quand il apporte ses créations et le voilà qui, pour ajouter à la confusion, fait une cours appuyée à la narratrice de laquelle son mari s’est depuis longtemps détaché. Finalement, la femme ferme la porte de leur foyer et guette le nègre qu’elle soupçonne de continuer à « approvisionner» son mari en contes et nouvelles… Or, malgré cette garde, son mari recopie toujours des textes au point qu’elle croit qu’il communique par télépathie avec celui à qui elle a fermé l’accès à leur foyer. Un moyen dérisoire de reconquérir son mari écrivain. Harcelée, à bout, la femme craque et abat celui qui s’est ainsi introduit dans le couple. Un épilogue qui n’était pas précisément prévu par le mari, lequel en avait programmé un autre encore plus machiavélique… mais qui, par la magie de l’imagination de Siniac, éclaire cette histoire parsemée d’ombres. Du bon Siniac, jeune, mais déjà si plein de ressource et de noirceur glauque. L’humour viendra après… ou plutôt est-il déjà là sans que le lecteur n’en soit conscient ?
Michel GRANGER
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