Difficile de dénicher un exemplaire de ce livre, le premier apparemment « publiable » (le qualificatif est de lui) et publié par P. Signac. Je m’attendais à une œuvre de jeunesse, eh bien pas du tout. Tout son style si particulier est là et l’intrigue vaut le coup même si l’épilogue est trop facile pour sortir son personnage principal de l’imbroglio dans lequel il le plonge. Il s’agit d’un quincailler en gros touché à la tête pendant la guerre dont la blessure s’est mal refermée : il a des trous de mémoire dès qu’on le touche à cet endroit. Cet homme est marié à une actrice de théâtre qui, bien sûr, le trompe avec tous les membres de la communauté d’artistes qu’elle fréquente. Elle a même l’intention de le quitter... Alors qu’il l’accompagne en voiture pour Montargis où sa belle-mère est malade, le quincailler étrangle sa femme au cours d’une altercation et la jette dans un trou d’eau. Dans la lutte, il reçoit un coup sur son ancienne blessure si bien qu’il perd la mémoire. Mais la retrouve partiellement renversé par un scooter (tel est le machiavélisme de Signac de jouer impitoyablement avec ses personnages) : il recouvre ses souvenirs du meurtre mais n’en sait plus le jour exact, ni ses occupations les jours qui l’ont précédé et suivi. Il doit donc reconstituer son emploi du temps pour déterminer la date fatale. Après enquête, le lundi lui paraît « vide » : il va donc trouver son associé et ami, lui avoue son crime et lui demande de lui fournir un faux alibi pour ce jour-là, ce qu’il fait… Mais voilà qu’il apprend plus tard avec stupeur que, ce soir-là, il était à la soirée anniversaire du fils d’un ami ! Il est donc « ubiquiste » (sic) pour cette date : présent à deux endroits en même temps ! Et, comble, le corps retrouvé par des ramasseurs de châtaignes indique une date antérieure pour la mort, date qu’il avait éliminée, les amis de sa femme témoignant de sa présence chez eux. Et au lieu de s’en réjouir (la police ne peut l’inculper à cause de cet alibi), il se sent frustré, « volé » de son meurtre et n’a de cesse de s’accuser. Au point d’en devenir fou, victime de ce faux témoignage collectif dont on apprendra la cause seulement après sa mort : une dernière volonté de sa femme qui a voulu préméditer son propre meurtre par son mari ! Du Siniac avant l’heure… vous dis-je.
Michel GRANGER
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