MonPolar : Jeanne Desaubry pourriez-vous vous présenter rapidement aux lecteurs de ce site (profession, âge, etc. enfin tous les détails qui intéressent la presse people :o) ) ?
Voyons, voyons… Sur la toile, il est d’usage de mentir outrageusement, de se rajeunir en particulier, d’embellir le (vieux) tableau. Sauf que… si demain je rencontre un lecteur, v’lan ! la déception. Alors autant être honnête.
Je suis née en 1958, ce qui fait que j’ai passé la moitié statistique de ma vie. J’ai rempli à craquer la première partie avec quatre enfants, deux romans, et j’ai bien l’intention de rentabiliser la partie qui me reste !
Mon enfance s’est passée dans une ferme picarde, isolée au milieu des bois. La magie de la lecture s’est révélée dès le premier jour de l’école, et je ne me suis plus jamais sentie seule. Et même, j’ai alors découvert que j’adorais ma solitude : cela me permettait de lire tranquillement !
Aujourd’hui, après avoir exercé diverses professions, notamment dans le milieu hospitalier, je suis devenue institutrice. Métier éreintant mais tellement… essentiel, que j’exerce depuis dix ans. Peut-être qu’un jour je pourrai ne me consacrer qu’à ma passion pour l’écriture et l’édition ?
Première question traditionnelle : pourquoi écrire ?
Je ne sais toujours pas quoi répondre de spirituel à cette question. Simplement, du moment où j’ai su lire, j’ai su que je voulais aussi écrire. Ambitieuse… Il y a eu des époques où j’écrivais peu, notamment les années de maternité, tellement pleines en soi, mais j’étais taraudée par l’idée du temps que je laissais passer. Je n’ai aucune autre passion. Je ne m’en glorifie pas, c’est juste ainsi. Tisser, mot après mot, un autre univers. Le pouvoir dont dispose un écrivain est incroyable. Danger : en venir à se prendre pour Dieu !!
Pourquoi du polar ? Avez-vous écrit autre chose ? Si oui, quoi ?
Derrière le mot polar, il y a de multiples acceptions littéraires. Celle qui me convient, et que je retiens pour moi, s’applique à un roman où l’intérêt réside dans la faille que chaque personnage porte en soi. Elle peut être révélée par une enquête, policière ou pas, ou simplement par les circonstances. C’est aussi, là, dans ce « genre » que l’on voit se jouer la rencontre de l’individu avec la société. Les autres, les flics, la justice, et l’injustice, la presse, la haine… Pire encore, la totale indifférence d’un système mondialisé de philosophie libérale, à l’exclusion des autres valeurs. Dans cette rencontre, souvent douloureuse, dorment tout un tas de possibles. A l’écrivain de les exploiter.
J’écris aussi, pour le plaisir du partage, des notices sur des écrivains que j’aime, sur leurs livres. Et puis enfin, une sorte de jardin différent, répondant à un besoin d’expression d’un autre type avec des micro nouvelles, regroupées sous l’appellation de « chroniques d’Elles » où je tente de capter des instantanés de vie de femmes. Enfin, de temps à autre, je retrouve mes amours d’enfance avec des contes, proches du fantastique mais pas trop. Noirs, toujours noirs…
Sur votre site vous avez placé des poèmes écrits au début des années 80. Continuez-vous à en écrire ?
Cette écriture répondait dans ces années-là à une nécessité absolue d’expression sans laquelle j’aurais probablement totalement décroché de la réalité. Il n’y avait que la poésie pour pouvoir l’exprimer. J’ose à peine les relire tant cela me replonge dans cette époque terrible. Le besoin n’est plus le même. Les temps ont heureusement changé pour moi. En même temps, j’avais envie d’offrir quelque chose s’apparentant à une genèse de ce que je fais aujourd’hui.
Parlons un peu roman policier. Le "polar" c'est quoi pour vous ?
La magie du polar, c’est qu’on met dedans ce que l’on veut. Il y a ceux comme JB Pouy qui n’y peigne jamais de policier, ou au contraire, ceux qui comme Mankel, ou Camilleri ou Vargas ou… nous font avancer au fil d’une enquête. Il n’y a donc pas une définition. Il y en autant que d’écrivains. Par contre, il faut que ce soit bon : une atmosphère, des personnages… L’intrigue vient après, mais la contrainte est dans sa cohérence.
Je ne peux pas me reconnaître, ni comme lecteur, ni comme écrivain, dans des réalisations nombrilistes qui voudraient qu’un journal intime soit, année après année, donné en pâture au public sous l’appellation de littérature. Un polar c’est de l’anti-complaisance concentrée. Ça devrait en tout cas…
- Vos auteurs de polars préférés ?
C’est impossible. Quand j’aurai mis dix noms, il m’en reviendra dix autres etc… Ce que je peux dire, c’est qu’un jour, un lecteur assidu de polars m’a mis Ellroy dans les mains. La trilogie Lloyd Hopkins. Cela a été un choc d’une intensité comparable à un de ces tremblements de terre à LA, siège de ses romans. Si je n’ai plus la même vénération pour ce que sont les oeuvres actuelles d’Ellroy, il m’a jeté dans le roman très, très noir, et j’ai su que j’avais trouvé le genre qui me convient absolument. Mais il y a des tas d’auteurs très différents que j’apprécie beaucoup aussi bien à l’étranger qu’en France. Camilleri, Montalban, Scerbanenco, Pelecanos, Indridason, Connelly, Westalke, Déon Meyer, Ken Bruen, James Lee Burke, Qiu Xiao Long… qui me font voyager et les innombrables français… qui ne leur cèdent rien en qualité.
Combien de temps en moyenne pour écrire un roman ?
On peut considérer que j’ai mis dix ans à donner sa forme définitive à « Hosto » dont le premier jet a dormi un moment avant que je le cuisine de mille manières. La dernière mouture doit beaucoup aux coups de bâtons de Max Obione qui m’a fait retravailler l’ensemble. Il m’a fallu trois années pour retailler, découdre et recoudre « le Passé Attendra », toujours sous la férule de Max. Le prochain, « Dunes froides » plus rapide, plus léger m’aura pris un peu plus d’un an. Sans doute deux. Il y a toujours un moment où il faut se décider et décréter que c’est terminé, sinon ce pourrait être sans fin.
Comment écrivez-vous vos romans ? En partant sur une vague idée et en découvrant les péripéties au fur et à mesure ou bien en suivant un schéma bien défini que vous suivez à la lettre ?
Les deux évidemment. Je pars en général d’un personnage et d’une situation intenable dans laquelle il s’est fichu. De là, je tricote un fil conducteur, dont je trouve toujours le moyen de m’écarter pour aller vers autre chose que je n’ai pas forcément prévu et qu’il me faut ensuite raboter de partout.
Des deux romans que vous avez écrits quel est votre préféré ?
Le prochain, bien sur ! Blague mise à part, j’aime « Hosto » pour l’ambiance. J’adore le personnage principal de « Le Passé attendra », Gen, cette femme-flic décidée qui saisit son destin et mène son existence avec opiniâtreté. Dans « Dunes froides » l’amour et la haine créent de terribles turbulences et le couple qui s’en trouve à la fois acteur et victime me touche beaucoup…
L’éditeur, dans l’avertissement d’Hosto, indique que vous avez travaillé dans les hôpitaux. Est-ce de cette expérience qu’est venue l’idée d’écrire un polar dans ce milieu ?
Oui, évidemment. De l’extérieur, ce qui se voit de l’hôpital se résout souvent aux blouses blanches des urgences. De l’intérieur, c’est un microcosme explosif particulièrement sensible aux égos et aux conflits, et donc très riche en matière brute pour un écrivain. A l’hôpital on touche à la naissance et à la mort, c’est un lieu fort, porteur de souffrance. J’étais plongé dedans, jour et nuit : j’y habitais, telle Claudette, son héroïne. Les lecteurs, en particulier les personnels hospitaliers, ont été très sensibles à la peinture que j’en ai faite.
Dans Hosto l’enquête est menée par un flic nommé Marc Perrin. Dans votre deuxième on le retrouve, mais il n’a pas le rôle principal. C’est une femme-flic, Genova Vuibert qui est le personnage principal. Est-ce qu’on les retrouvera dans d’autres romans ?
Ces deux-là auront du mal à se quitter. Pour l’instant ils sont en vacances, en Grèce, dans la maison d’un amie. Il faudra bien qu’ils reprennent le travail…
A propos d’éditeur, pourquoi Krakoen ? Avez-vous présenté votre premier livre directement chez eux ou chez d’autres éditeurs ?
Hosto n’est pas mon premier roman, c’est le premier que j’ai osé envoyer à des éditeurs, encouragée par un succès à un concours de nouvelles policières organisé par le Seuil. Avant la forme qu’il a finalement prise au travers du travail avec Max, il a été refusé au moins 30 fois. Pourtant, j’y croyais à fond et à défaut de pouvoir être objective en ce qui concernait sa valeur, je savais que j’avais lu des trucs dix fois pires sous l’appellation « roman ». J’avais lu infiniment mieux, naturellement, et il m’a fallu beaucoup de courage pour sauter le pas. Max Obione y avait vu du talent, il m’a encouragée et je ne regrette pas un instant d’avoir suivi ses conseils. Certes, la formule Krakoen demande un investissement personnel plus grand que chez un éditeur « classique » mais même ça me plait. Aujourd’hui, je me réjouis de remplir pour d’autres aussi ce rôle d’accoucheur. J’y consacre de plus en plus de temps, et j’attends avec autant d’impatience que les auteurs, la sortie des ouvrages que j’ai parrainés. Je me suis retrouvée insensiblement et sans préméditation dans la position d’éditrice.
Pour « le Passé Attendra » je n’avais pas sollicité d’autres éditeurs. Pour le prochain, j’y réfléchis. C’est une décision compliquée. Je suis à présent habituée à garder la maîtrise de tout le processus. En même temps, j’apprécie mieux les limites de notre mode de fonctionnement.
Quoiqu’il en soit, Krakoen est une splendide, une incroyable aventure.
Sur votre site vous avez placé plusieurs nouvelles. En avez-vous d’autres en réserve ? Qu’est-ce que vous préférez écrire : romans ou nouvelles ?
J’aime le roman pour la latitude qu’il laisse de développer les personnages et les ambiances. J’aime les nouvelles à cause de la discipline que vous inflige la contrainte : thème, longueur… Cela nous fait sortir de nos défauts habituels. C’est un exercice difficile auquel je trouve bon de me confronter régulièrement… Quelques unes dorment dans mes tiroirs, bien sur.
Avez-vous un autre roman en chantier ? Si oui, son thème, son titre si ce n'est pas indiscret.
« Dunes froides » est presque achevé. Il a eu plusieurs titres intermédiaires dont « la maison de la plage ». Cela vous donne des indices sur le lieu : les interminables plages du Nord, et la tonalité. Noire, forcément. J’ai travaillé une forme plus courte, avec un rythme plus sec. Deux personnages enfermés dans une relation tellement passionnelle qu’il n’en sort que du mal.
Lisez-vous beaucoup de romans policiers ? Quel est votre genre préféré ? Noir ? Procédural ? Whodunit ? Suspens ? Thriller ?
Je lis beaucoup, je lis exactement tout le temps libre que je ne passe pas devant l’écran auquel je suis rivée. Je ne lis que des romans policiers, ou presque (quand même, des fois… ) Je raffole des découvertes et des surprises. Aussi, quand je plonge dans un genre connu, ce que j’attends c’est un ton ou une personnalité qui me surprennent. Je n’ai pas d’a priori, juste, parfois, une certaine lassitude. Certains, qui écrivent l’œil rivé à ce qui se vend, pondent à la chaîne des histoires de serials killers de pacotille. Le gore parce que le sang, le sexe parce que le sexe plaisent et font vendre. Du sang et du sexe oui, quand ils s’imposent à un moment donné dans le roman. Comme le reste. Pas gratuitement. C’est faire injure à l’intelligence de son lecteur.
Les thriller me déçoivent souvent : tout ça pour ça ? C’est très difficile d’avoir une chute ouverte crédible et forte.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Et la réponse, bien sûr !
Que regardez vous à la télé : réponse : RIEN, jamais. Juré ! Les policiers y sont fades, les infos fausses, les docus… je ne sais pas, je ne regarde même pas les programmes…
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